Bienvenue sur mon blogue !
J’ai récemment déménagé après avoir vécu vingt-deux ans au même endroit, à cinquante mètres du parc LaFontaine. Endroit que de surcroît j’avais loué depuis la France par fax, sans l’avoir vu, lorsqu’au printemps 1998 j’ai décidé de venir vivre avec mes deux fils, alors âgés de 3 et 10 ans, à Montréal, après que leur père et moi nous sommes séparés. Je n’avais jamais de ma vie vécu au même endroit aussi longtemps. J’ai adoré cet appartement de la rue Marquette à Montréal mais aussi, j’ai fait le choix de rester dans ce grand 8 ½ afin d’assurer une certaine stabilité à mes garçons, dans notre vie à certains aspects plutôt marquée par la mouvance voire l’instabilité. Je ne l’ai jamais regretté. À jamais cet appartement sera celui où mes fils ont grandi. Et puis ils sont grands Et je suis même grand-mère maintenant. J’ai souhaité reprendre ma vie personnelle, et j’ai eu la chance de trouver grâce à des amis un superbe appartement, beaucoup plus petit mais bien agencé et haut perché dans un arbre, en face d’un parc dans un beau quartier. Un nouvel appartement de célibataire comme j’aime à le dire, moi qui depuis quelque trente-deux ans ait toujours cherché des appartements familiaux.
Comme un bonheur n’arrive jamais seul ( un malheur non plus, hélas… ), j’ai également fait créer un autre nouveau lieu, virtuel celui-là, mon nouveau site et dans ce nouveau site, mon nouveau blogue… Je compte bien m’y entretenir régulièrement avec vous.
Et d’ailleurs, au cours de ce déménagement, un objet en particulier m’a ramenée précisément 32 ans en arrière. À Venise. Sur la plage du Lido, à Venise.
Dans les préparatifs de ce déménagement, j’ai retrouvé mon porte-plume en verre de Murano et mon encre violette…
Photo privée Aline Apostolska
Je l’acheté en 1987 lors d’un séjour à Venise à l’automne 1987. Seule sur la plage désertée du Lido, je regardais la lagune grisée, passablement perdue. Enceinte. Et venant d’apprendre la mort de mon grand-père paternel. Ainsi, mon grand-père et ma grand-mère, les seules personnes qui avaient joué un rôle parental réel auprès de la petite fille abandonnée, maltraitée, méprisée et toujours malade malgré son irréductible énergie et sa force de survie, ces personnes-là étaient parties et ne verraient pas mon futur enfant. Ils auraient été les seuls personnes à qui j’aurais aimé présenter mon premier fils, et cela ne se ferait pas.
Sur cette plage du Lido, j’essayai sans succès d’entrevoir ce que serait ma vie seule avec un enfant à mon retour chez moi, à Paris, où il naîtrait six mois plus tard. Je ne voyais pas encore. Je ne savais pas encore. Mais c’est sûr, moi ma vie c’est moi qui l’aie écrite, à ma manière et donc on allait voir ce qu’on allait voir. Je doutais de tout sauf de cela, cette fois-là comme toutes les autres fois où ce type de désarroi, de sentiment d’être perdue ( et donc en passe de se retrouver… ) s’est reproduit. J’avais 26 ans, deux livres déjà parus, et maintenant un enfant… aventure non prévue mais ô combien désirée. Maintenant je sais que ce sable friable du Lido aura abrité la propédeutique de ce que deviendrait ma vie future, son érection solide au gré de tant de tempêtes. Il ventait fort, je me souviens. Je me suis réfugiée dans ce café du centre de Venise où Goldoni avait ses habitudes.
En mangeant des pâtisseries, j’ai aperçu ce porte-plume dans la vitrine en face et l’ai acheté, avec l’encre violette à la pensée. Une encre à la pensée… Armée de cette plume fragile, un objet d’art en soi, je recommençais, je me réécrivais. Je choisissais ma vie que j’allais écrire à ma seule et unique guise, mais plus jamais pour moi seule. Mon fils, puis mes fils, passeraient toujours avant moi. De tout ce que j’ai fait dans la vie, mes fils restent ce dont je suis le plus fière. Pas aveugle, ni condescendante, et certainement pas sans exigence. La fierté va avec l’exigence, forcément.
Je n’étais pas revenue à Venise depuis 1987 lorsque j’y retournai en septembre 2019, de nouveau sur la route entre chez ma mère sur son île croate, dans le golfe de Venise, et Paris, devenu une étape vers ma destination, et dorénavant port d’attache fluvial, Montréal. Seule, à nouveau, sur la plage du Lido, en pleine canicule, je ne pensais à rien. Peut-être à mon père, mort un an auparavant et enterré avec son père dans le cimetière sur la colline, à Skopje. Je pressentais qu’à Montréal m’attendait un nouveau chapitre de ma nouvelle vie mais s’en voyant rien encore, n’en sachant rien encore. Et heureusement. C’est tellement extraordinaire de ne savoir, ni voir, rien encore. Quelle chance de pouvoir écrire, réécrire à nouveau.
C’est alors que j’ai retrouvé ma plume en verre de Murano avec l’encre pensée. Je les ai essayé. Elles fonctionnent parfaitement.
Photo privée Aline Apostolska