21 janvier 2022
Tandis que sévit la tempête sur Montréal et que je viens de pelleter deux heures juste pour pouvoir changer ma voiture de place de stationnement… je reçois un paquet qui contient un livre, un cadeau.
Il s’agit du 38e livre écrit grâce à l’accompagnement de mes ateliers de création littéraire. Romans (adultes ou jeunesse, policiers, historiques, fantastiques, intimistes, épiques, d’amour) récits autobiographiques, recueils de nouvelles et même poésie (plus rarement)… je suis fière d’avoir donné l’étincelle, la théorie, l’analyse, l’écoute, la critique, l’encouragement, l’audace, parfois le coup de pied gentil, et l’étincelle encore, pour faire exister, couver, écrire et finalement même publier le livre que des personnes ont toujours voulu écrire. Depuis 2003, la magie conjuguée à la compétence opère. Merci à toutes et tous pour la confiance renouvelée d’année en année et bravo à toutes celles et tous ceux qui ont réalisé leur ambition. Je ne dis pas qu’ils ont réalisé leur rêve, car un livre c’est avant tout du travail, beaucoup de travail, mais ils ont sans doute réalisé leur ambition.
Ou du moins, une partie de leur ambition… et c’est là mon propos aujourd’hui.
Parvenir à se faire publier est bien la fin d’un parcours du combattant, voire, pour dire la vérité vraie, un véritable chemin de croix. Je rappelle, pour contrer les idées reçues et les espoirs idéalistes fondés sur l’ignorance complète du milieu de l’édition, que la moyenne du nombre de refus d’un premier livre est de 52. 52 refus, il faut en effet avoir la couenne dure et s’accrocher, surtout que, logiquement, l’on associe le refus au fait que le livre est mauvais ce qui n’est pas toujours le cas, et même pire : dans 8 cas sur 10 le refus d’un livre n’est pas lié à la qualité du livre (sinon, entre nous, combien de livres nuls qui paraissent ne paraîtraient pas…?) mais au contexte. Le contexte? Le contexte de la maison d’édition elle-même soit son plan d’affaires, son identité et sa politique éditoriales, l’appréciation forcément subjective de l’équipe éditoriale (subjective, bien sûr, car c’est de la littérature), le programme éditorial qui est toujours déterminé plusieurs années à l’avance, la santé financière de la maison… et autres raisons qui ne sont pas du tout d’ordre littéraire et qui rappellent à celles et ceux se feraient des idées irréalistes qu’une maison d’édition est d’abord et avant tout une entreprise commerciale et qu’elle doit bien à ce titre répondre aux critères de fonctionnement d’une entreprise commerciale.
À cette règle du refus n’ont échappé quasi aucun des auteurs best-sellers que l’on connaît aujourd’hui et dont on pourrait s’imaginer, de l’extérieur seulement, qu’ils ont tout de suite été reçus à bras ouverts par les éditeurs. Pas du tout! Dan Brown, Paulo Coelho, J.K. Rowling, Louise Penny, Donna Leon, Stieg Larsson, Henning Mankell, Guiseppe Tomasi di Lampedusa… en ont déjà souvent témoigné, ce qui explique d’ailleurs que beaucoup finissent par préférer s’auto publier (Marcel Proust, je le rappelle souvent, étant le plus célèbre auto publié de l’histoire de l’édition française.
J’écris cette chronique non pas pour critiquer le système éditorial, il est ce qu’il est, mais pour rester conforme à ce qui est le but principal que je poursuis dans mes ateliers de création littéraire AlinéaÉcriture : démystifier l’acte d’écrire, et le milieu de l’édition et du livre en général.
Donc, une fois le livre publié, bien sûr c’est une merveilleuse victoire. Quelque chose d’un profond accomplissement personnel. Pourquoi dis-je ici alors que toute publication est un malentendu? Est-ce pour les mêmes raisons qu’il faut un jour avouer aux enfants que le Père Noël n’existe pas, et qu’on lui ment depuis des années…? Oui, c’est un peu ça.
Le malentendu, l’échec dont on parlera ici s’entend du seul point de vue intérieur, c’est-à-dire de la perception de l’écrivain lui-même quant à la réception de son livre. Non pas, encore une fois, par rapport au fait que son livre se vende ou pas, mais par rapport à la compréhension de son livre par les lecteurs.
Car entre ce qu’un écrivain veut dire et ce que le lecteur en comprend, il y a toujours une distance, un écart, voire un gouffre. On pense avoir tout dit, dit tout ce que l’on avait à dire dans ce livre-là. Mais est-ce le cas? Est-ce seulement possible.
C’est ainsi que la romancière française Geneviève Brisac parle d’échec de la publication, sûre qu’elle est, après une longue carrière, que l’on échoue toujours à vraiment exprimer tout ce que l’on pensait exprimer, même après tant de travail. Pour sa part, l’écrivaine québécoise Marie-Andrée Lamontagne parle plutôt de malentendu de la publication, stipulant qu’il existe toujours inévitablement un écart entre ce que l’auteur-e a écrit et ce que le lecteur, la lectrice, en comprend. Comme si l’un est l’autre ne parlaient pas tout à fait de la même chose, un mal – entendu en somme. Quant à moi, modestement, je rappelle simplement que l’écriture est un long cheminement vers soi-même, et donc, à chaque étape, on avance un peu plus vers cette vision du monde que l’on souhaite transmettre, on s’en rapproche à chaque fois d’un peu plus près. Le processus est sans fin.
C’est précisément lui qui fait continuer et maintient vivante l’envie d’écrire. À chaque nouveau livre, on se dit « ah cette fois-ci je vais y arriver, je vais parvenir à dire exactement ce que je veux dire, et cette fois, c’est sûr, je serai pleinement compris-e. »
Cela s’appelle l’inassouvi. Et que serait la littérature sans inassouvi? Est-elle seulement assouvissable?
La littérature signe notre appartenance à l’humain. C’est une histoire sans fin.