Mois : novembre 2022

Photo : Aline Apostolska

Série Du beau monde Aline Apostolska Snapshot 3 : Marina

Photo : Aline Apostolska
Photo : Aline Apostolska

À tire d’ailes, le moineau est entré dans la salle de restaurant. Sans la moindre hésitation, il s’est dirigé vers moi et s’est posé sur le côté gauche de mon assiette, sur la nappe blanche. De ses yeux globuleux d’un gris anthracite, il m’a fixée sans bouger. Assise en face de moi, Marina a tressailli puis a porté la main à sa bouche, comme pour étouffer toute forme de réaction.

Dans la salle,  les convives étaient tournés vers nous, le moineau et moi, fondus dans ce dialogue aphone. Ni lui ni moi ne détournions le regard. Fala ti tato sto dojde da me vidis, ai-je dit après quelques longues minutes. Dobra sum, vidis, ne se sekiraj. Merci d’être venu papa, je vais bien tu vois, ne t’inquiète pas. Mozes da si odis sega, Do gledanje tato, do gledanje. Tu peux partir maintenant, Au revoir papa, au revoir. Pendant que je parlais, le moineau me fixait puis il est reparti, exactement comme il était venu, comme ça, par la porte principale de cette pizzeria que mon amie avait choisie sans savoir que mon père aimait y manger de temps à autre lorsqu’il séjournait dans la ville.

Je me suis lentement tournée vers Marina. J’ai vu ses yeux rougis de larmes et j’ai pu me mettre à pleurer, enfin. La veille nous avions enterré mon père dans la tombe de son père ainsi qu’il l’avait demandé. Depuis lors, une boule obstruait ma poitrine et m’empêchait de finir mes respirations. La boule venait de craquer, emportant les digues. Je tenais Marina par la main et nous pleurions. Ça prenait tout le mysticisme inséparable de l’orthodoxie orientale pour comprendre ce que nous venions de vivre, ou au moins de l’accepter comme tel. Pas forcément croyants mais mystiques, oui, tels sont les vieux peuples millénaires de la Méditerranée. Sur mes joues, les larmes coulaient, mais mon cœur s’était apaisé. Je me sentais un petit moins coupable de n’être pas arrivée à temps pour embrasser mon père une dernière fois avant sa mort, moi l’éternelle absente. Je tenais la main de Marina et c’est tout. Je n’avais rien à expliquer. À Marina, je n’ai besoin de rien expliquer. Elle sait. Depuis toujours, Marina est celle qui me sait.

Pensez-y bien : combien de personnes vous connaissent-elles depuis votre naissance? Je veux dire combien de personnes – en-dehors de vos parents, si toutefois vous avez la chance qu’ils soient encore en vie? Poussons la question plus loin : avec combien de personnes qui vous connaissent depuis votre naissance êtes-vous encore en lien profond, pas seulement en lien, mais en lien étroit ? Poussons la question encore plus loin : avec combien de personnes qui vous connaissent depuis votre naissance demeurez-vous en lien étroit malgré l’éloignement et l’absence ? Malgré le fait que votre vie commune soit surtout tissée de lointains et d’ailleurs ? Est-ce que dans votre vie cette personne-là existe ? Dans ma vie à moi, cette personne existe. Elle s’appelle Marina. Faut-il pleurer de l’avoir si peu vue, ou bien se réjouir qu’elle soit toujours là, qu’elle fasse mentir l’adage loin des yeux loin du cœur ? Il y a des jours avec et des jours sans. Des jours avec des sourires et des jours avec des larmes. Tout ce qui touche à mes origines s’avère clair-obscur, et plutôt obscur que clair, mais Marina, elle, brille dans la clarté de mon cœur depuis plus de six décennies. Il a dû être content, mon père, et rassuré, de nous voir ensemble, ainsi attablées dans cet agréable restaurant du centre-ville de Skopje, comme si de rien n’était.

Photo : Aline Apostolska
Place centrale de Skopje Photo : Aline Apostolska

Tous, nous sommes si occupés à faire et à réussir ce que nous faisons. Tant préoccupés par tant de faires qui masquent l’être, le faire finissant trop souvent par prendre le dessus sur l’être, parce que c’est si facile de faire pour oublier de se poser des questions. Faire : changer l’être de place, comme on dit changer le mal de place. Et puis adviennent ces moments cruciaux où l’être réapparait. Cela advient lors de deuils. Le chagrin est la revanche de l’être sur le faire. Le chagrin apporte des épiphanies. Avec une impitoyable nudité, nous regardons alors notre vie qui dans pareils moments semble avoir été vécue pour rien. Oui, pourquoi faire, finalement ? 

En ce début d’août 2018, dans ma ville de naissance de Skopje, capitale de la Macédoine du nord où j’étais revenue, après vingt ans d’absence, pour enterrer mon père, j’avais la chance improbable que Marina me tienne la main quand même, et me tenant simplement la main, partage mon chagrin.

Commençons donc par le début.

Fin 1961. Ma mère part rejoindre mon père à Paris. Ma grand-mère, abasourdie d’apprendre qu’elle a une petite-fille, me recueille. Elle a déjà une filleule, prénommée Marina. Née un an et demi avant moi, en décembre 1959, et dont les parents habitent l’immeuble en face, dans cette cité si typiquement communiste nommée Prolet, le printemps. Une caricature de ces noms communistes qui devaient évoquer l’éveil, le renouveau, la gloire et le triomphe du peuple…bien que ma famille paternelle ne fasse pas exactement partie du peuple, mais plutôt des ex-seigneurs terriens devenus des dirigeants politiques, ou des dirigeants des sphères de production prolétarienne, à l’image de mon grand-père paternel, directeur du conglomérat de tabac qui fournit Kent et Camel (aujourd’hui racheté par Philip Morris). Tous les habitants de la cité de Prolet se sont vus attribuer un appartement par leur entreprise. C’est le cas de mon grand-père, mais également du père de Marina. Sa mère travaille aussi, alors ma grand-mère, qui n’a jamais travaillé à l’extérieur, garde sa filleule. Lorsque je débarque dans sa vie, ma grand-mère a 48 ans. Elle nous met ensemble dans le même berceau. Marina devient ainsi ma sœur de lait. Du lait de vache avec du miel que ma grand-mère aimait à nous faire boire, à moi l’agitée, malingre, hurlante, souvent malade, des otites à répétition, et à Marina la sage, rondouillarde, jamais malade, de grands yeux doux et le sourire toujours sur les lèvres. Nous avons grandies telles quelles. Trois ans plus tard, je quitterai définitivement la Macédoine pour rejoindre mes parents à Paris. La France deviendra mon pays. Je ne verrai plus guère Marina et ma grand-mère que durant les vacances d’été. Mais le lien, avec l’une comme avec l’autre, perdurera, absolu, propédeutique. Lorsque j’ai eu 24 ans, ma grand-mère est décédée et très peu de temps après, la mère de Marina. Cancers fulgurants, toutes les deux. Depuis lors, Marina est la seule à se souvenir de l’enfant que j’étais dans les toutes premières années de ma vie.

Marina serre ma main et me dit : « Tu te souviens, ce que tu faisais? Personne ne va te battre, me disais-tu, et puis tu envoyais des coups de poing partout alentour les yeux fermés. Et c’est vrai, tu faisais fuir les garnements.» Nous rions. C’est vrai, j’étais comme ça à trois ans, tandis qu’elle fermait les yeux en attendant que les autres la tapent. Pourquoi? «Tu te souviens pas, me dit Marina. On avait un tas de méchants voisins. » Oui, c’est vrai, et je les battais, poings serrés, yeux fermés, pour nous protéger. Nous avons grandi, Marina a appris à se défendre. À de nombreuses occasions, c’est elle qui m’a défendue. Elle, toujours raisonnable, et moi, toujours infernale. Comme le côté pile et le côté face d’une même pièce. Bien sûr que je me souviens, Marina, je me souviens de tout. 

Marina a dix ans, moi huit. Nous jouons à cache-cache avec les autres enfants de la cité Prolet, nous n’avons pas que de méchants voisins. Mon amie me rappelle toujours à l’ordre, me pousse toujours à rentrer parce que la nuit est tombée, que ma grand-mère nous attend sur le balcon, dévorée par les moustiques qui s’en donnent à cœur joie après qu’elle a arrosé les rosiers devant son balcon.

Marina a dix ans, comme tous les étés, on se retrouve à Skopje à la fin juin quand nos écoles respectives finissent et que deux longs mois d’été nous ouvrent les bras. Tout au long de l’année, nous échangeons des lettres. Mon cœur se dilate toujours lorsque j’aperçois sa belle écriture appliquée sur l’enveloppe bleue. Où ai-je mis ces lettres? Dans ma malle rouge restée en France chez mon amie Dominique, je crois… «Qu’aurais-tu pu faire sinon devenir écrivaine ?» m’a déjà dit Marina. C’est vrai bien sûr. Écrire m’a permis de rapiécer un peu, bon an mal an, les tissus épars de ma vie.

Excellente élève, à dix ans, Marina porte un foulard rouge et un chapeau orné d’une étoile rouge à cinq branches, uniforme des jeunes pionniers de la République fédérative socialiste de Yougoslavie. À l’école, elle scande des chants patriotes et apprend la théorie marxiste, elle me dit qu’elle veut être communiste, qu’elle veut participer à construire un nouveau monde. Elle fait partie de cette génération qui a cru si fort en la Yougoslavie. Mon grand-père, mes oncles, tout comme son père à elle, se sont battus pour cet idéal. Pas mon père, non, lui il n’y croyait pas justement, et dès la fin des années 50, il a choisi la France, pour lui-même et ses descendants. J’adore la télévision yougoslave. Les programmes commencent par l’hymne national et l’on écoute les longs discours de Tito que ma grand-mère vénère d’autant plus qu’il est croate, comme elle. Faut bien dire qu’il est beau, très élégant et qu’il parle très bien. À la télévision yougoslave, tout est jovial. À cette époque, les peuples slaves du sud sont tous joyeusement mélangés, complices et unis, Croates, Serbes, Monténégrins, Slovènes, Bosniaques, Herzégovines, Albanais et même Tziganes (la Yougoslavie est le seul pays au monde à avoir accordé une nationalité aux peuples apatrides roms et tziganes), chacun avec sa langue, sa religion, son histoire, ses différences socio-économiques, son écriture, tout est un magnifique et fructueux mélange, dans un parfait respect mutuel. On les voit tournoyer main dans la main dans des rondes folkloriques, et chanter à pleins poumons leurs chants séculaires. Je n’y comprends rien, mais quelle importance, tous semblent libres et heureux, ça donne envie de danser avec eux.

Quand j’y vais l’été, j’ai l’impression qu’ils vivent dans un monde idéal, alors que eux pensent de moi que je vis à Paris comme à Disneyland entre Peter Pan et la fée clochette. La vérité est tout autre : je vis en effet dans les beaux quartiers parisiens au cœur du capitalisme triomphant des années soixante, mais ma vie est schizophrène : dix mois d’une vie et d’une éducation strictement française, voire Vieille France, et deux mois en Yougoslavie, enfin libre de mes parents et leur vie folle saturée de violences conjugales. Aller retrouver chaque été ma grand-mère et Marina me permet de souffler et de réparer mes forces. 

Je ne prononce pas un seul mot de macédonien durant toute l’année (je n’ai jamais parlé qu’en français avec mes parents), alors l’été, la première semaine, je fais des erreurs, et puis ça revient, je retrouve momentanément ma langue dite maternelle. Marina se moque de moi, je ne sais pas lire le cyrillique, alors elle part en croisade, elle me donne des cours, je dois savoir lire le macédonien, comment ça, je ne peux pas ne pas savoir! Elle a raison. S’il n’avait été que de mes parents, je n’aurai jamais rien appris, ni de la langue, ni de l’écriture, ni de l’histoire de mes ancêtres. Mais lorsqu’en septembre, je retourne à Paris, la première semaine j’ai aussi du mal, les mots de français m’échappent, et puis ils reviennent. Jusqu’au jour où tout cela s’équilibre. Quel extraordinaire mystère que celui de la mémoire des langues !

Marina a seize ans, elle apprend le français depuis plusieurs années au collège. C’est la langue seconde qu’elle a choisie. En ce mois de juin 1976, c’est elle qui vient me rendre visite à Paris. En pleine canicule historique. Je la promène partout, je lui montre tout. Nous traversons Paris du matin au soir, de semaines en semaines, à pied, puis nous allons à Versailles, au château, passage obligé. Pour nous rafraîchir, je lui propose d’aller nous tremper les pieds dans le cours d’eau qui longe le Hameau de Marie-Antoinette. C’est interdit, mais je franchis la barrière et elle me suit. Le gardien nous voit et fonce vers nous, furibond. « Marina, lui dis-je précipitamment, parle-lui, dis-lui je ne comprends pas le français, vas-y dis-lui avec ton accent, comme ça ils nous prendra pour des touristes ignorantes. Moi je vais me taire.» Le stratagème fonctionne si bien que le gardien nous laisse là, à nous rafraîchir les pieds dans le ruisseau de Marie-Antoinette. La veille, nous nous étions baignées dans les bassins du Trocadéro devant la Tour Eiffel, bon.

Petite déjà, elle voulait voyager partout, Marina, et elle l’a fait. Elle a sillonné l’Europe en autobus, en train, en avion. Elle est allée jusqu’en Russie qui était alors l’Union soviétique. En bonne gestionnaire économe, elle a toujours su prioriser son budget voyage. Elle lit, elle découvre, elle se prépare et puis elle part. «Tu t’assieds dans un véhicule, me dit-elle avec des étoiles plein ses grands yeux noirs en amande, et voilà, tu es partie !» Son premier gros achat a été de s’acheter une voiture, une Fiat 500 blanche qu’elle était si fière de conduire, à un âge où je n’avais même pas encore passé mon permis. Communiste, féministe, indépendante, entreprenante, déterminée, travaillante, pragmatique, oui. Et humaniste. Pharmacienne diplômée. Une femme remarquable. Je l’idéalise ? Ben oui, forcément, mais à vrai dire, pas tant que ça.

Marina a vingt-neuf ans. Elle passe ses vacances avec moi chez ma mère, sur l’île de Hvar en Croatie. Nous sommes nues sur les longues pierres plates qui avancent entre le bleu et le bleu, celui du ciel et celui de la mer Adriatique. «Je suis enceinte» lui dis-je et le cri qu’elle pousse interrompt le zézaiement des cigales. Elle est ravie et intriguée : «Je pourrais avoir un enfant, moi aussi » me dit-elle. Ni elle, ni moi ne sommes mariées et n’envisageons pas de l’être. Mon fils naît en avril 1988, le sien en août 1990. Un type formidable son fils, qui joue au foot, parle des langues, travaille pour une ONG, sillonne la planète. Létonie, Estonie, Pologne, Espagne, Portugal, France, Grèce, Finlande, Aruba, République Tchèque etc etc… et Marina, en mère fière et épatée, le rejoint de temps à autre, ici ou là.

Lorsqu’elle est devenue mère, elle n’avait plus que son père. Sa mère était morte lorsqu’elle avait vingt-cinq ans. Quelques mois après que ma grand-mère est morte. Cancers fulgurants, emportées en quelques semaines, sans crier gare. Nous nous sentons orphelines. Quand elle devient mère, l’absence pèse plus lourd. J’ai ressenti la même chose. Nous en pleurons ensemble, et continuons à nous écrire et à nous soutenir, si loin, si près.

La naissance de son fils occulte un peu la catastrophe de la dislocation de la Yougoslavie. La Macédoine devient un pays indépendant en 1991 après référendum auprès de ses quelque deux millions d’habitants. Marina est bien occupée avec son nourrisson. Elle a voté oui, néanmoins son cœur est brisé. Les atrocités dont les récits lui parviennent chaque jour la terrassent même si, en 1991, on n’ait encore rien vu. Bientôt ce sera le drame de la Bosnie, de la Croatie, puis du Kosovo. Marina est en colère, très très en colère. C’est comme si le soleil s’était obscurci. « Sombres connards, dit-elle, et maintenant quoi ? On va vivre entre nous, entre petits Macédoniens, comme au temps du Sultan ! Quelle régression ! Quelle catastrophe ! » Je la comprends. Tout comme elle, je ne comprends pas la grégarité du nationalisme.

Le bon aspect de la chose, c’est que le nouveau gouvernement macédonien offre aux habitants de racheter les appartements que l’État yougoslave leur avait attribué sans qu’ils en soient pour autant propriétaires. Le père de Marina achète donc l’appartement dans lequel la famille vit depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, dans la cité de Prolet. Tous font ça d’ailleurs, y compris mon père qui rachète l’appartement de ses parents. Le père de Marina se remarie d’ailleurs et lorsque sa seconde épouse meurt, il se retrouve également propriétaire de l’appartement qu’ils occupaient ensemble. À la mort de son père, Marina hérite. Elle laisse leur maison de campagne à sa sœur, garde l’appartement de Prolet pour elle et donne le second à son fils. Lorsque je vais à Skopje, je vais dans l’appartement de ma grand-mère situé en face de l’appartement de Marina. Malgré tous les changements, rien n’a changé.

Par-delà les va, les vient, les absences, les éloignements, les drames, les deuils, les langues, les divorces, les mariages, les naissances, les guerres et les morts, depuis 75 ans, ces deux appartements de la cité de Prolet se font face et Marina et moi nous faisons signe au réveil par la fenêtre. Quand nous étions enfants, c’était un signe pour aller jouer dehors, aujourd’hui c’est un signe pour se retrouver chez moi et chez elle pour prendre un bon café. Un café turc. Avec une cuillérée de confiture de pastèque (la recette de ma grand-mère) ou de confiture de raisin blanc (la recette de sa mère).

Promenade le long du Vardar Skopje Photo : Aline Apostolska

Tiens-moi la main, Marina. Nous irons marcher dans la vieille ville turque au bord du Vardar le long duquel se dressent des centaines de statues de tous les grands héros macédoniens dont le plus grand de tous, Le Grand, Alexandre, qui surplombe la ville sur son fier destrier (dont on sait qu’il était noir). Nous mangerons des burek, des cevapcici, des pastermarliji, des geverci, boirons de la rakija et de la boza, nous régalerons des loukoums, des sampiti et des tulumbi dégoulinantes de sirop de sucre.

Nous roulerons jusqu’au divin lac d’Ohrid, les arènes intactes du 2e s, la via Egnatia que les Romains construisirent pour traverser de l’Adriatique à l’Égée et que l’on rejoint à côté d’Ohrid, à Radozda, les grottes des anachorètes du 12e s, les lieux mystiques orthodoxes creusés à même la pierre, tout là-haut en à-pic, le monastère de Saint-Naum du 11es., l’église Saint-Georges de Kurbinovo avec les fresques de Cyrille et Méthode du 13es… Le lac de Prespa, le plus vieux lac d’Europe, source archéologique du peuple macédonien. Les innombrables montagnes de Macédoine qui sont le sanctuaire du lynx, emblème du pays. L’été, les guirlandes de tabac qui sèchent au vent répandent leur parfum enivrant par-dessus le treillis des vignes, les champs de tomates, de piments, de pastèques, les vergers de figuiers et d’abricotiers. L’hiver, la neige obstrue les canyons, barre le passage et gèle les lacs. Alors la Macédoine, berceau de culture occidentale, redevient le royaume des loups, des ours, des sangliers, des hordes de chevaux sauvages. 

Tiens, c’est l’anniversaire de Marina bientôt, début décembre, je me souviens. Je vais l’inviter à venir ici, on pourrait faire un beau tour aussi, c’est pas les kilomètres qui manquent…

Miguel Medina pour l'AFP

Série Du beau monde Aline Apostolska Snapshot 2 : Albert

Miguel Medina pour l'AFP
Miguel Medina pour l’AFP

Albert sort de sa chambre et se laisse tomber dans le fauteuil en face de moi. Las. Nu. Nous en sommes parvenus à ce degré d’intimité qu’il quitte le lit où il a laissé son amant pour venir discuter avec moi dans son salon, nu.

Il est trois heures du matin, je ne suis pas fraîche non plus. Au Palace, Donna Summer, Prince, Eurythmics, Bowie, Police mais aussi Indochine, Goldman, Cabrel ou Balavoine, et bien sûr Elton John m’ont fait dansé toute la nuit. 1983 : I’m still standing jusqu’au bout de la nuit, plusieurs nuits par semaine. Après avoir attendu en vain un taxi, je me suis décidée à appeler mon ami avant de marcher jusqu’à chez lui. De la rue du Faubourg Montmartre à la rue Myrha, dans le quartier de la Goutte d’or, ça fait une trotte, mais c’est mieux que de parcourir Paris pour rentrer chez moi rue Chapon, à côté de Beaubourg. J’imagine que la température était clémente et que j’avais enlevé mes talons.

La plupart du temps, j’allais aux Bains Douches, situés à deux cent cinquante mètres de chez moi. Ça aurait été plus pratique, évidemment, ça m’aurait éviter de traverser Paris, mais c’est sans compter sur le fait que traverser Paris la nuit m’a toujours été un enchantement. Et ça reste une histoire sans fin. Ça fait longtemps maintenant que je ne vis plus à Paris, mais dès que j’y reviens, je retrouve instantanément tous mes repères, toutes mes habitudes. Je me remets à marcher dans tous les sens dans cette ville que je connais par cœur, d’un bout à l’autre, et qui demeure toujours et jamais la même. Paris reste pour moi une faim sans fin.

Je suis affamée, Albert aussi. Nous voilà dans la cuisine. D’abord il prépare du thé.

Il boit quotidiennement des litres de thé, puis propose des plats africains que

prépare Abibatou dans son minuscule resto en bas de chez lui. Fufu de banane,

dambou, bonava, tiep bou dien. Des délices exotiques pour les férus de gastronomie française et italienne que nous sommes. Des plats devenus familiers depuis qu’Albert vit dans ce quartier multiethnique, surtout maghrebin et noir africain, qui constitue un des visages de Paris et auquel les termes de terrorisme islamiste ou de grand

remplacement ne sont pas encore systématiquement associés. En 1983, on dit Barbès

coloré, animé, bondé de bruits et d’odeurs que nous ne trouvions que festifs et délicieux. D’aucuns, comme Jean-Marie Le Pen et ses sbires, jouaient déjà les oiseaux de malheur, ils essayaient, mais François Mitterrand, avec son insurpassable sens stratégique, parvenaient à les neutraliser.

En fiers et actifs représentants de la Génération Mitterrand, Albert et moi, et tous nos amis, avions fêté place de la Bastille le 10 mai 1981. Nous venions d’avoir vingt ans et avions voté pour la première fois. Nous avions élu le premier président socialiste de l’histoire de la République française. Nous étions fiers, fallait nous voir, touchés par la grâce, convaincus, portés par la foi béate de lendemains qui chanteraient fort, libre, brillant, original et créatif. Notre avenir nous attendait les bras ouverts, un grand sourire bienveillant aux lèvres.  Nous irions, conquérants, par ces chemins pavé de pétales de roses rouges qui n’étaient pas de plastique, mais qui jamais, ô grand jamais, ne se faneraient. Comment un tel engouement, un tel enthousiasme, une si absolue conviction pourraient-il jamais déchanter ? Cette seule perspective était tout simplement inaccessible à nos yeux de chair. De 1981 à 1984, nous avons vécu en lévitation, pompés à bloc d’idéaux magnifiques, aussi hallucinants que les puffs de poppers dont Albert abusait d’ailleurs dans les backrooms des clubs gays qui avaient fleuris comme des champignons dans la nuit de Paname. Il suffisait de se convertir à la baise obligatoire et débridée, loin, très loin de la moindre préoccupation de consentement, de s’initier à l’art contemporain, à la culture scientifique, à la vénération de tout ce qui enterrerait les ors de la royale France d’antan, de porter des épaulettes qui vous donnait aussitôt de la carrure, de vénérer Agnès B, Comme des garçons, Yamamoto, Jean-Paul Gaultier, et bientôt Madonna, et tout irait bien. Génération nouvelle, libre, impertinente, flyée. Intelligente. Génération nouvelle, idées nouvelles, visions inédites, audaces illimitées. De toute façon, Tonton Mitterrand nous protègerait de tout, et de tous. Lui et Jack Lang, eux, comprenaient la jeunesse. Baby alone in Babylone chantait pourtant Gainsbourg. On ne se méfiait pas. On n’avait pas la tête à ça.

Rien en 1983, dans l’antre alchimique qu’était Paris, ne nous obligeait encore à ouvrir les yeux. À prendre brutalement conscience que nous étions de fait en plein mirage. Jamais nous n’aurions cru que nous étions déjà la génération sida, que bientôt, très bientôt, nous surnagerions au milieu de cadavres tachetés, d’hécatombes qui révéleraient des tombereaux de pensées puantes et de paroles traitresses de la part de ceux-là mêmes qui avaient clamé que l’important c’était la rose pour finalement se torcher avec. Jamais nous n’aurions cru en cet inimitable cynisme de la gauche caviar. En 1983, nous étions à l’orée d’un cimetière et nous le prenions encore pour un grand et formidable party d’Halloween.

Dans la cuisine d’Albert, cette nuit-là, nous avions juste faim. Son amant nous a rejoint, nu lui aussi. Sur sa belle peau noire, la sueur séchée dessinait une myriade de lentigos scintillants. Les plats étaient épicés, mais la chaleur qui m’envahit n’avait rien à voir avec ça. Je mangeai en silence puis remit mes talons. Un taxi me ramènerait chez moi où m’attendait ma chatte Cassiopée, offerte par Albert. Je dormirai trois heures puis je me rendrai à mon bureau, dans ce département du Ministère de la Culture qui bientôt donnerait naissance à la Cité des Sciences de la Villette. Sous mon savant maquillage au blanc de Chanel, ma poudre Guerlain et mon rouge très rouge, on ne verrait pas la fatigue qui pointait déjà. Une fatigue à venir. Si quelqu’un à ce moment-là avait osé me dire que sept ans plus tard je m’emmerderai à Paris, je l’aurai agoni d’injures. La simple perspective d’associer ces quatre mots – m’emmerder à Paris – ne m’était pas plus imaginable que tout le reste. Tout le reste qui pourtant arriva, au rythme d’une chevauchée sauvage, au-delà de toute imagination.

Like a virgin, on s’est fait niqué. On en a redemandé. À la fin du mois d’avril 1988, alors que je me trouve à la clinique où je viens d’accoucher, je donne procuration à une amie pour m’assurer que ma voix s’ajoutera à celles de tous mes amis en faveur de Mitterrand. Il fallait continuer à y croire. Pareil en 1995, puis, évidemment en 2002. Et tout au long des décennies jusqu’à François Hollande. Perso, c’est là que j’ai décroché, je n’ai plus voté. Quand j’ai dit à mon père que Hollande proposait le même programme économique que Sarkozy et que j’en avais marre de voter par défaut, j’ai bien cru qu’il allait me virer de table sans dessert. La vérité c’est que, comme depuis 2014 je vote aussi au Canada, je continue à le faire pour les socio-démocrates d’ici. En y pensant, je me suis rendue compte que tous mes amis français, ainsi que leurs parents, tout comme ma propre famille, ont toujours voté socialiste, jusqu’à la nausée.

Même scolarité, même origine sociale, même vision du monde, mêmes métiers, dans les médias, l’éducation ou la culture, ou apparentés. Génération nouvelle, libre, impertinente, flyée. Intelligente. Critique, intransigeante, et déçue. Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour garder ses idéaux? Une génération d’adulescents flamboyants, et surtout acerbes. Une génération née entre la fin des années 50 et le milieu des années 60 que les sociologues disent dotée d’esprit tranchant et de parole qui tue. On ne nous la fait pas. On n’en laisse pas passer une. Certes on garde jeunesse de pensée et de corps, mais on n’en laisse pas passer une.

Ainsi, quand certains s’étonnent qu’Albert vive dans ce quartier de bougnoules et de blackos, tout à côté de chez Tati, il rétorque que ses parents lui ont offert cet appartement-là, là, non pas qu’ils n’aient pu en acheter un ailleurs dans la capitale, mais par goût pour la bigarrure de Paris. Comme beaucoup de métropoles, Paris est une cohabitation de villages autarciques avec peu de liens entre eux. Nous, nous voyions Barbès comme un quartier sympa peuplé de Français. Pas de Français issus de l’immigration. De Français, point barre. Le grand-père paternel d’Albert avait immigré d’Italie. Le père d’Albert était devenu ingénieur et avait créé sa propre société en expansion constante. Sa mère travaillait avec son père. Albert était fils unique, un Français de troisième génération. Une multitude de nos amis étaient dans ce cas de figure. Moi-même, Française de deuxième génération. Circulez y’a rien à voir. Nous n’en parlions jamais. Point barre.

Les Français, ils viennent de Beauce ou de Bourgogne, mais aussi d’Italie, du Portugal, du Chili, de Russie, de Tchécoslovaquie, de Cuba, de Pologne, du Vietnam, du Cambodge, d’Argentine,  d’Espagne, du Portugal, de Russie, de Grèce, de Yougoslavie comme des États-Unis, du Liban, d’Angleterre ou de Belgique… Tous ne sont certes pas logés à la même enseigne. Certains, la majorité, sont parfaitement intégrés, fondus dans la masse, assimilés. Et puis, il y a les autres. Par exemple, il y a Mme G., notre corpulente prof de maths, qui envoie notre ami Mustapha se laver les mains puis, à son retour, lui dit qu’elles sont toujours marron, ses mains, il faudrait vraiment qu’il apprenne à les décrasser. La nuque de Mustaph ploie sous le choc, mais Alain, Philippe, Patrice, Corinne et moi on ourdit des plans pour faire chuter Mme G. dans les escaliers dont elle ne se relèverait jamais.

En cette année 1983, Albert lui, vit au pied des escaliers de la Butte Montmartre. C’est la France coloniale, mettons qu’on peut résumer ça comme ça. Et plus on monte, plus on s’éloigne des bruits et des odeurs d’ailleurs pour retrouver la bourgeoisie parisienne, blanche, cultivée, légendarisée par les chansonniers et les peintres. Jamais, à cette époque, en montant la longue volée de marches blanches vers le Sacré-Cœur, ou en fréquentant les troquets dans les rues en pente ou sur les placettes, je n’ai pensé en ces termes. Albert non plus. Montmartre, c’est Montmartre, dans sa multiplicité. C’est la France. Point barre.

Albert et moi avons le même âge, et une forme innée d’affinités électives qui vont jusqu’au partage tacite d’une identique vision du monde ainsi que de la manière dont il faut vivre sa vie. Albert a en plus ce que je n’ai pas du tout, des parents dont la vie tourne autour de la sienne, à l’écoute, présents, stables, encourageants, cultivés. Financièrement à l’aise. Suffisamment, en tout cas, pour qu’Albert entre dans la vie sans se poser aucune question de survie et n’ait besoin de partager cet héritage avec personne. Sauf qu’il partage, Albert, beaucoup, avec sa générosité d’enfant unique et son altérité humaniste. Son sens de l’amitié.

La nôtre s’est nouée en 1975.

Nous avons quatorze ans. Nous sommes dans la même classe de quatrième ce qui, dans la scolarité québécoise, correspond au secondaire 3. Au collège, je suis populaire. Je suis aux prises avec les histoires folles de mes parents, mais en contrepartie, il faut rappeler que la solitude a pour corollaire la liberté, elle-même synonyme d’inconformité. Je suis sportive, je fais du théâtre, j’ai beaucoup d’amis, surtout des garçons en fait, avec lesquels je joue au foot et au basket, mais qui progressivement, à mon grand dam, connaissent des émois et éprouvent des sentiments devant la fulgurante métamorphose de mon long et maigre corps androgyne en celui de Betty Boop. J’exècre cette transformation, elle m’insupporte et me complexe, et à part ma meilleure amie Corinne (tu te rends compte que ça fait cinquante ans que nous nous souhaitons nos anniversaires, m’a-t-elle écrit l’autre jour), je n’aime pas la compagnie des filles, leur univers riquiqui centré sur les garçons et leurs effets sur eux, leurs stratégies, leurs mesquineries, leurs jalousies, leurs petits arrangements. Plus jeune, je préférais la cime des arbres aux Barbies, et à quatorze ans, je préfère faire du sport avec mes copains.

Robert, un garçon de la classe me suit presque tous les après-midi sur le chemin du retour. Robert, on n’entend jamais sa voix. On sait juste qu’il est le meilleur ami d’Albert. Albert et Robert, ils vont par deux, sont toujours ensemble, même taille, même gabarit, deux fils uniques, l’un d’origine italienne, l’autre d’origine espagnole. Mais voici que depuis quelque temps, Robert laisse Albert au coin de sa rue et poursuit le chemin derrière moi.. Un jour, il m’aborde. Il a un conseil à me demander. Dans une question emberlificotée, il explique qu’il n’a pas compris un texte que nous étudions en français. J’essaie de lui répondre bien que je n’ai pas vraiment compris sa question. Et pour cause. Ce n’est qu’un prétexte pour me parler d’autre chose. D’Albert en l’occurrence. Avec un air contrit, mi-offusqué mi-compassionnel, il me laisse entendre qu’il ne peut plus être ami avec son meilleur ami d’enfance. Ce serait, me dit-il, contre nature et contre son éducation, contre ses convictions et celles de sa famille. Il précise que lui n’est pas comme ça et il ne voudrait surtout pas qu’on croit qu’il l’ait parce qu’il est ami avec Albert. Et donc il décide de ne plus être ami avec Albert. Qu’en pensai-je ? Beaucoup de mal à vrai dire. À cette époque-là déjà, et sans doute depuis toujours sans en avoir conscience, j’ai en horreur les conventions normatives, les idées reçues, le qu’en dira-t-on. Elle me vient directement de mes parents – il faut rendre à César… Je ne suis que conforme à l’inconformité de mes parents.

Le lendemain, j’aborde Albert pour la première fois. Je lui raconte d’emblée la trahison de son ami et lui dit qu’il n’a rien à craindre de ma part. Où avais-je la tête que je n’avais jamais remarqué auparavant que plusieurs élèves, surtout des garçons mais aussi des filles, se moquent ostensiblement de lui, l’imitant avec une gestuelle efféminée (qu’il n’a pas), des mimiques (qu’il n’a pas), une voix haut perchée (au contraire de la sienne). Alors je me mets au milieu de la classe, debout devant le bureau du prof et avant que celui-ci n’arrive, je clame haut et fort qu’ils sont stupides et que j’irai voir la directrice si j’entends encore des moqueries. Robert regarde le bout de ses baskets, Albert en reste abasourdi et à vrai dire moi aussi. C’est sorti tout seul. Ma gang fait bloc autour de moi, et comme nous constituons les éléments dominants de la classe, le reste des élèves se tait, même s’ils ont certainement continué à mener la vie dure à Albert en dehors de l’école. Tu m’a sauvé, me dit-il. Je trouve qu’il exagère.

Ainsi naît notre amitié. Nous grandissons et nous déployons, jamais très loin l’un de l’autre. Albert change de physique, se déploie, fait des études de droit, lit le New York Times tous les jours. Il est toujours partant. Moi aussi. Ses parents sont certains que nous nous marierons (et après tout, me dit Albert un jour, on pourrait bien le faire, on aurait la paix, toi comme moi…). Ils n’apprendront l’homosexualité de leur fils unique que plusieurs décennies plus tard et son père ne le prendra pas. Nous faisons le tour des grandes tables (grâce à lui), le tour des salles et festivals de danse (grâce à moi), l’Europe de long en large et en travers (grâce à ses parents qui lui offrent une voiture), le tour des boîtes de nuit parisiennes (mais pas les mêmes). En 1983, dans sa cuisine, nous étions sur le high, certains que notre vie serait toujours magique et intéressante Et puis l’homosexualité venait tout juste d’être dépénalisée, ça ne pouvait que continuer à très bien aller. Nous pensions que nous serions invincibles. Que la France était le plus beau pays du monde et Paris son fleuron. Que nous serions toujours amis.

Nous aimons notamment la  côte dalmate où ma mère s’était remariée. Si la France est le plus beau pays du monde, l’île de Hvar, elle, est la déesse des îles de la Méditerranée. Nous y allons ensemble, ou séparément, ça dépend. En ce mois de juin 1991, je me rend sur l’île de Hvar pour aller chercher mon fils que j’ai laissé avec ma mère pendant un mois, avec ma chatte Cassiopée, offerte par Albert (Cassiopée est la constellation au-dessus de Paris). Ça va mal dans la région, la Yougoslavie craque par toutes ses coutures rapiécées. Il y a eu la première guerre du Golfe et maintenant il y a cette horreur qui sourd et gronde et menace, au cœur de l’Europe. Je n’imagine pas que ces peuples qui vivent soudés collés serrés ensemble vont se séparer, et encore moins s’entre massacrer entre frères, amis, voisins. L’histoire de l’humanité n’est qu’une longue suite d’entre massacres entre frères, amis et voisins, mais je n’y crois pas. Personne n’y croit. On n’apprend rien de l’histoire, ou si peu.

Je suis à Hvar, à me baigner dans ce paradis qu’est cette île et ses environs, tellement heureuse et radieuse de partager des moments parfaits avec mon fils, mes amis, ma grande amie Tanja notamment (tu te rends compte que ça fait quarante-cinq ans qu’on se souhaite nos anniversaires, m’a-t-elle dit récemment). Tout est parfaitement parfait et puis un matin, Albert appelle. La BBC a annoncé que les troupes croates se préparent contre une offensive serbe, sur la côte dalmate cette fois. Des mouvements de troupe ont été observés. Des armes livrées. La fermeture des frontières est imminente. Je l’écoute. Je suis sur le balcon vénitien du 16ème de ma mère devant le bleu iridescent de l’Adriatique tandis que mon fils joue aux petites voitures au pied du grenadier. J’écoute Albert, mais ne comprends pas ce qu’il dit. De toute façon, on rentre la semaine prochaine, lui dis-je, pas de panique. Mais si, panique. Si la BBC le dit c’est que c’est la panique. J’arrive, conclut-il et il raccroche.

Le surlendemain, il est là. Je dis à mes amis de Hvar que la guerre est là, que c’est grave. Mais bien sûr, me disent-ils hilares, tu nous enverras des conserves. Nous laissons Cassiopée qui est quasiment retournée à l’état de chasseresse sauvage. Nous fuyons, mon fils et moi. Albert conduit. D’une traite et sans autre arrêt que ceux du ravitaillement en essence, il suit consciencieusement la route en lacets qui surplombe la mer jusqu’à la frontière italienne. 390 km entre Split et Venise, d’une route hallucinante de beauté et de danger surnommée la route de la mort. Nous montons vers le nord, croisant les soldats qui descendent vers le sud. Nous croisons des camions, des armes, des figures figées et des colonnes de femmes et d’enfants qui marchent. La frontière entre la Croatie et la Slovénie se ferme derrière nous. À la frontière italienne c’est pire, il nous faut brandir nos passeports français pour qu’ils nous laissent passer avant de fermer la porte sur le monde perdu que nous laissons derrière nous.

À Venise, nous mangeons chez Florian et dormons au Palazzo Veneziano qui donne sur le grand canal. C’est surréaliste. Le lendemain, Albert nous conduit jusqu’à l’aéroport de Milan et nous paie un vol Alitalia pour Paris. Je rembourserai plus tard, lorsque je serai en sécurité en France. Il me confie les clés de son appartement de la rue Myrha et nous met dans l’avion. J’ai pas envie de rentrer, me dit-il, j’avais prévu de faire un tour jusqu’aux Pays-Bas. Ainsi, mon fils et moi atterrissons à Paris, comme si de rien n’était. De la fenêtre d’Albert, on regarde la Butte Montmartre, dont les pieds trempent dans les relents de la France coloniale. Mon fils de trois ans adore le foufoubatou, le foufou banane d’Abibatou. Faut dire que sa première gardienne était iranienne, suivie par une marocaine. Il a le goût des ailleurs. Une semaine plus tard, lui et moi partons pour l’Égypte, deux mois plus tard nous déménageons à Orléans où je commence un nouveau travail. C’est surréaliste. Albert nous a sauvés.

Six mois plus tard, je vis à Orléans. La police appelle et prononce le nom de ma mère. Est-ce que je connais cette femme ? Est-ce que je vais la recueillir chez moi ? Son mari marin et elle ont fui l’île de Hvar sur un voilier, ont rejoint la Grèce puis remonté la côte amalfitaine jusqu’à la Sardaigne puis Juan-les-Pins. Ils ont failli couler dans le port de Juan-les-Pins, à leur arrivée. La police française les a remorqué puis finalement mis dans le train vers chez moi. Ma mère arrive, détrempée, épuisée, lessivée par ce voyage à fond de cale. Mais elle a fait un beau voyage, dit-elle, une odyssée exceptionnelle. Nous voilà tous sauvés. C’est surréaliste.

Seule Cassiopée manque à l’appel. Cassiopée n’a pas apprécié le bateau. Lorsque celui-ci a accosté sur l’île de Corfou, elle a bondi sur le quai. Elle s’est sauvée.

Peggy Baker pour Huk

Série Du beau monde Aline Apostolska Snapshot 1 : Mrs Pearson

Série Du beau monde

Aline Apostolska

J’ai fini par ne plus m’ennuyer du tout à partir de l’instant où j’ai appris à me souvenir.

Albert Camus – L’étranger

Peggy Baker pour Huk
Peggy Baker pour Huk

Snapshot 1 : Mrs Pearson

Mrs Pearson pleure à chaudes larmes. Des larmes de désespoir réveillées par un rêve. Pas un cauchemar, non, un rêve, le souvenir, insidieusement remonté à sa mémoire durant la nuit, de ce bel officier de la marine britannique dont elle était amoureuse. You musn’t do that ! It’s something you simply cannot do ! But I did. I was so desperately in love. Desperately comme dans hopelessly, sans issue? Amoureuse sans retour? Elle lève les yeux vers le plafond bleu gris de la cuisine. La voilà qui m’engueule. Aujourd’hui comme hier et sans doute comme demain, Mrs Pearson m’engueule. Toujours avec cette diction so british qui découpe les syllabes et que j’adore.

Il est sept heures du matin. J’essaie d’avaler mon petit déjeuner avant d’aller prendre le tube qui me conduira dans cette boutique où je travaille de neuf à six toute la semaine. Je suis certainement rentrée tard la nuit dernière, j’ai forcément tourné la clé avec précaution, j’ai assurément marché dans le long couloir qui mène à ma chambre en veillant à ne pas me prendre les pieds dans les piles de Times jaunis, annotés, découpés, classés depuis son retour des Indes il y a quarante ans. Un mur de papier qui garde la poussière du temps qui passe et dont Mrs Pearson ne veut en aucun cas se défaire. Surtout ne t’appuie pas dessus! C’est ma bibliothèque d’Alexandrie qui ne va pas brûler, je mourrai avant elle.

Il est sept heures du matin, c’est la BBC qui l’affirme. Je bois du café, elle du thé et elle m’engueule. Je ne comprends donc rien? On n’a pas le droit de faire ça, et elle, elle l’a fait. Comme je lève ma tasse sans enlever la petite cuillère, elle fronce les sourcils entre deux larmes. Look at her! She will put it in her nose. Combien de fois m’a-t-elle dit d’enlever la cuillère avant de boire ?

Mais qu’a-t-elle fait? La voilà qui prend sa tête dans ses mains soignées alourdies de bagues à cabochons. C’était un dîner officiel. Le gouverneur général lui parlait, il lui avait posé une question. Et elle, elle n’avait pas répondu. Son mari la regardait, rouge de honte, et tous la fixaient, interloqués, et elle ne répondait pas. I was such a bloody fool, absolutely out of my mind ! So desperately in love comme dans amoureuse au point de ne penser qu’à cet officier, de ne pas entendre la question du gouverneur. Comme absentée d’elle-même. Ravie, comme dans ravin. Effondrée.

De quel gouverneur parle-t-elle ? Ah ! s’écrit-elle, mais qu’est-ce qu’on vous apprend donc dans votre fameuse école de la république ? J’entends le brin de dédain et je me dis qu’on y apprend bien des choses, mais pas forcément l’ordre de succession des gouverneurs au temps des Indes britanniques. Lord Mountbatten, précise-t-elle, of course ! Who else ? Ben si, je connais ce nom. Mountbatten, c’est pas la fin de la Seconde guerre mondiale, juste avant l’indépendance de l’Inde ? J’ai même eu un cours sur Gandhi, dis-je fièrement. Ah ! elle crie de plus belle. Gandhi, ce gueux ! Mrs Mountbatten had an affair with him, shame on her !

Je louais une chambre chez elle depuis plusieurs mois, petit déjeuner compris. Le premier matin, alors que j’entrai dans la cuisine avec un sonore Good morning, elle m’avait foudroyée de son regard bleu acier avant de tourner ostensiblement le dos pour augmenter le son. N’entendais-je pas qu’elle écoutait les nouvelles ? Religieusement. Dans un silence religieux. De la même façon qu’elle écrivait toute la journée, des lettres, des journaux intimes. Moi, ça m’arrangeait de me taire. À cette époque-là déjà, je détestais parler avant d’avoir pris mes deux tasses de café noir. Mais si le soir je lui souhaitais Bon appétit, elle répondait que c’était inutile puisqu’on mangeait toujours très bien à sa table, à laquelle je n’avais cependant jamais vu d’autre convive que Denis, son quarantenaire de fils qui vivait avec elle.

Un autre matin, je m’étais retrouvée devant une table de gala dressée juste pour moi. Avec effarement, je regardai l’enfilade de fourchettes à gauche, de couteaux et de cuillères à droite, face tournée vers le haut, à l’anglaise. Toute une argenterie pour manger deux oeufs sur le plat et des toasts à la marmelade d’orange ? You must know how to use them, m’expliqua-t-elle, imagine you are invited at Buckingham Palace, you have to know.  Et d’ajouter que lorsqu’Elizabeth était venue en Inde, si parfaitement belle et élégante, elle savait utiliser tous ces couverts. La probabilité que ça puisse jamais m’arriver à moi était secondaire. Les matins de Mrs Pearson étaient intenses. À quelle heure se levait-elle donc pour ainsi sembler avoir déjà vécu toute une journée alors que le soleil filtrait à peine par les fenêtres qui donnaient sur les allées touffues de Hyde Park, par-delà l’imposante Old Brompton Road ? 

Je me lève, laissant Mrs Pearson à sa journée qui s’annonce lestée de souvenirs, voire de regrets. Une de plus. Quid du bel officier évoqué? Je n’en saurai jamais rien. Mrs Pearson recroqueville son frêle corps dans son peignoir de soie élimée et enfouit la tête dans ses longues mains embijoutées dès le réveil. Avant de quitter son vaste appartement victorien, je jette un œil sur le miroir indien qui orne l’entrée et remet du rouge à lèvres rouge cerise qui rehausse le chic de mon chemisier blanc et de mon tailleur cintré. Le chat vient se frotter contre mes bas nylon et je le repousse d’un coup dans les côtes.

La semaine précédente, je cachai un bouquet de fleurs derrière mon dos en attendant que Mrs Pearson vienne ouvrir, ce qu’elle fit avec un regard furibond. Why the hell are you ringing ? You’ve lost your keys haven’t you ? Je lui tendis mon bouquet avec un joyeux Happy Birthday. Mrs Pearson s’en saisit et se précipita vers la première poubelle où elle le jeta avec force dépit. My cat eats them, don’t you ever offer me flowers ! Outrée je lui tournai le dos et m’enfermai dans ma chambre, à la porte de laquelle elle vint bientôt toquer avec, en guise d’excuses, un verre d’eggnog très chargé en scotch, sa boisson préférée. Boire un eggnog au début mai, ça n’effrayait pas Mrs Pearson. Elle affirmait que ça me remettrait les idées en place depuis que, munie d’un pendule qui tournait puis s’arrêtait obstinément au-dessus de mon pouce levé, elle avait diagnostiqué que mon cerveau ne fonctionnait pas. Look at this, your brain doesn’t work. Mon anniversaire tombant deux jours après le sien, j’avais néanmoins trouvé sur la commode de ma grande chambre meublée comme celle d’une princesse consor, où le chat n’avait pas droit d’entrée, un imposant bouquet de dix-neuf roses, roses. En y repensant ce matin-là, j’envoyais un second coup de pied au sournois félin obèse avant de quitter l’appartement.

En face de l’immeuble se trouvait la Cinémathèque française, celle-là même où j’avais trouvé l’annonce pour la chambre. Un frais soleil printanier illuminait Londres. Je décidai de marcher jusqu’à la boutique de mode française située à plusieurs kilomètres, sur New Bond Street. Deux mois après ma fuite à Londres, j’avais fini par prévenir mon père et il s’était débrouillé pour me trouver ce job de vendeuse chic. Mes escarpins dans mon sac, j’enfilai mes ballerines et m’élançai d’un bon pas.

Je connaissais Londres sur le bout des pieds, ne cessant de la sillonner dans tous les sens. J’aimais tout particulièrement longer la Tamise des cossues banlieues de l’ouest jusqu’aux plus mal famés quartiers des docks de l’est. La Grande-Bretagne avait rejoint l’Union européenne huit ans auparavant après que le peuple français l’avait acceptée par référendum. Londres ne présentait aucun signe de l’effervescente City financière et multiculturelle qu’elle deviendrait dans les late nineties. Au tournant des eighties, le thatcherisme flamboyant avait creusé un gouffre d’injustices et de violences entre les classes sociales, ce qu’une ballade d’une partie de la capitale anglaise à l’autre révélait cruellement. Invitée à diner par une de mes collègues de la boutique qui vivait en colocation, une situation extrêmement rare à Paris, dans une typique cité populaire de l’est, pour la première fois de ma vie j’avais eu vraiment peur en me retrouvant, à la sortie du tube, face à une bande de punks désoeuvrés et saouls qui m’avaient poursuivie avec moult gestes et invectives obscènes. Racontant mon escapade à Mrs Pearson, elle se mit à hurler en me couvrant d’injures. Bloody you ! There’s nothing to see there, this is not England ! Et de m’organiser aussitôt une visite du château de Windsor, en autobus climatisé avec guide francophone.

J’avais rencontré Londres à douze ans, lorsque mon père, pour m’aider à apprendre la langue, m’avait envoyée dans une famille dans le Sussex pour les vacances de Noël. Je ne comprenais rien et passais quinze jours à engloutir des boîtes de chocolates & toffees Quality Street. Malgré les bombes de l’Ira contre lesquelles on me mettait en garde, j’avais pris le train seule et avais arpenté Londres pour la première fois, ce que j’ai fait plusieurs fois par la suite, à différentes époques, voyant la ville changer sans jamais perdre sa singularité, ni son profond impact sur moi. Alors, au début de 1980, à la recherche d’un abri pour mon esprit et mon âme, j’avais instinctivement pris le train, le bateau puis le train pour m’y réfugier. Sans rien dire à personne. J’ai toujours adoré Londres et si je n’avais pas été Parisienne, j’aurais aimé être Londonienne. Vivre à Montréal est pour moi une manière d’être un peu les deux.

Un an auparavant, quelques semaines avant mon dix-huitième anniversaire, ma mère nous avait quittés. Abandonnés sans un mot. Desperately in love, ailleurs.  Néanmoins, j’avais passé mon bac brillamment. Le proviseur de mon lycée réputé m’avait convoquée dans son bureau à lambris. Admiratif de mes résultats et las me voir arriver au lycée accompagnée par la police qui m’avait arrêtée pour trafic de drogue. Vous ne m’impressionnez guère, savez-vous ? Vous pouvez bien débarquer en panier en salade, je ne vous renverrai jamais. Vous êtes brillante, mais vulnérable (en carence affective avait dit le juge pour enfants). Vous avez tellement de flèches dans votre carquois que vous risquez de passer votre vie à les envoyer dans tous les sens. Visionnaire le proviseur. Lui possédait la solution, qu’il m’exposait. Hypokhâgne, khâgne, École normale, c’était la voie royale et elle était à ma portée. À condition que je ne quitte pas son lycée. J’avais essayé. C’était passionnant à vrai dire, mais je m’ennuyais et m’ennuyer n’est pas à ma portée. Pour certains, ennui rime avec stabilité, mais chez moi l’ennui, comme une fièvre, enflamme mon intranquilité consubstantielle. Alors un matin après les fêtes de fin d’année, j’avais pris le train, puis le bateau, puis le train pour me réfugier à Londres, sans rien dire à personne.

Après six mois à vivre chez elle, en juillet 1980, à la table du petit déjeuner, j’annonçai à Mrs Pearson que j’allais rentrer à Paris.. Elle baissa la tête, sans m’engueuler. Elle se résolut à chercher une autre locataire. Un soir, en rentrant, je l’entendis m’appeler dans le salon. Une jeune femme s’y trouvait. Maigre et grande, très grande. Les jambes croisées et ponctuant ses paroles de ses mains soignées, Mrs Pearson me fit asseoir puis ordonna à la jeune femme de se lever. Celle-ci s’exécuta, gauche et mal à l’aise. You see ? dit Mrs Pearson en s’adressant à moi sans la regarder. She cannot wear normal clothes, she cannot sleep in a normal bed, she cannot sit at a normal table. She couldn’t even dance with a normal man. She’s a giant monster. Je ravalai ma salive, estomaquée. La jeune femme regardait ses chaussures, pointure 44 au bas mot. And do you know where she comes from? poursuivit Mrs Pearson. Rhodesia ! Rhodesia ! She grew up with negros, can you only imagine that ? La jeune femme ramassa son sac et partit. I would have imagined that she would leave sooner, conclut Mrs Pearson, I am not a charity. J’avais prévu de passer la soirée dans ma chambre, mais je me ravisai et sortit, courant dans les rues jusqu’à un restaurant indien. Mrs Pearson exécrait la nourriture indienne et moi, qui venais de la découvrir, je l’adorais. Si elle savait ! Quelques nuits auparavant, après une soirée arrosée dans un pub, j’avais invité Leroy, mon collègue jamaïcain que toutes les filles de la boutique convoitaient. Je riais tant que je manquais de m’étouffer avec mon nan en imaginant que Mrs Pearson ait pu le trouver tout nu dans sa salle de bain au milieu de la nuit. Can you only imagine that ?  

Peu de temps avant mon départ pour la France, Mrs Pearson me proposa une escapade dans la campagne anglaise pour découvrir des écluses sur la Tamise. Son fils nous conduirait. J’acceptai. Sur place, elle décréta qu’elle ne pouvait pas marcher et que son fils me ferait visiter. Nous partîmes côte à côte, et j’entendis pour la première fois ou presque, sa voix. Rouge comme une tomate, il bredouilla qu’il me trouvait belle et fascinante et voulait me proposer le mariage. L’estomac noué, je remarquai qu’il tremblait un peu et décidai donc de lui dire que j’allais y penser. Jamais trajet ne me parut si long. Mrs Pearson me jetait des coups d’œil dans le rétroviseur avec un petit rictus qui ne faisait que décupler ma colère. Ce piège minable était le sien, bien évidemment, et son fils et moi en étions pareillement victimes. J’allais dormir plusieurs jours chez mon amie Sue, dans sa cité infestée de punks et puis deux jours avant de quitter Londres, je rentrai sur Old Brompton road. C’était comme si j’avais traversé plusieurs couches de sédimentation sociologique.

À la table du petit déjeuner, Mrs Pearson ne jouait plus. Elle avait compris. Je n’épouserai pas Denis. Ni lui ni personne d’ailleurs. You are brilliant but so vulnerable, plaida-t-elle, I wanted to offer you security. Combien de fois encore allais-je entendre cette phrase ? Jamais de la bouche de ma mère en tout cas.

Je vais devenir journaliste et écrivaine, lui dis-je en levant ma tasse de café avec la cuillère dedans. Elle me sourit. Un vrai sourire affectueux. Tu as raison, me dit-elle, puis elle retira une de ses bagues à cabochon et me l’offrit. Je rentrai à Paris et retournai vivre chez mon père pour quelque temps. Je repris mes études à l’université. J’ai passé ma vie à envoyer des flèches dans tous les sens, jusqu’à l’autre bout du monde. Je ne me suis pas ennuyée.

J’ai perdu la bague.

Peggy Baker pour Hunk